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Le blog de Stéphane Soumier

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Macron-Ghosn, comme si vous y étiez

Publié par Stéphane Soumier sur 4 Novembre 2015, 08:28am

Cette histoire n’est pas écrite et finira comme un roman balzacien, ou comme un récit d’économie sur la croissance des modèles industriels au tournant du siècle. A moins qu’il n’y ait un peu des deux.

Macron-Ghosn, comme si vous y étiez

Version balzacienne, c’est une lutte de pouvoirs entre deux ambitions qui se percutent de plein fouet. Emmanuel Macron, le ministre en train de construire une carrière politique, qui multiplie les provocations et fait avancer le pays. A la recherche, tout de même, d’une caution de gauche, le voilà qui tombe sur cette loi « Florange », la si bien nommée : c’est le terroir industriel, l’histoire des luttes sociales, l’acier qui ne ment pas, et l’œuvre de son prédécesseur Arnaud Montebourg.

Alors, va pour Florange, qui consiste à imposer, là où l’Etat a des participations suffisantes, des droits de vote double liés aux actions qu’il possède, pour s’assurer que la stratégie industrielle restera conforme aux intérêts définis par les sages responsables politiques élus des peuples, face aux intérêts avides de la finance sans visage et sans pitié. Amen

Bon. Pourquoi pas. Deux groupes résistent, seulement deux. Orange, qui finalement se laisse convaincre, et Renault, qui en revanche déclenche la bataille.

Donnons ce crédit au ministre : seul Renault résiste vraiment. Pourquoi ?

Version balzacienne toujours : parce que Carlos Ghosn veut consolider son pouvoir. Seul maitre à bord, il entend le rester. Or la partie japonaise de l’alliance est historiquement bien plus docile que la partie française. Elle a en plus le mérite de le payer 7 fois plus, ce qui, on en conviendra, n’a rien d'anecdotique. Et dans ce cadre là, le doublement des droits de vote de l’état vient troubler une stratégie personnelle d’inverser les pouvoirs au sein de l’Alliance au profit des japonais, justement.

Un peu d’histoire : à la naissance du pacte Renault-Nissan, il y a 15 ans, c’était Nissan qui était en ruines, et Renault qui venait la sauver parce que Louis Schweitzer avait eu l’intuition géniale à l’époque de l’absolue nécessité d’une implantation mondiale. Le pacte donne donc à Renault bien plus de pouvoirs dans l’Alliance qu’à Nissan. 15 ans après le rapport de force s’est totalement inversé. Le rééquilibrage semble légitime ? En tous cas les japonais le réclament.

c’est là que l’on quitte la version balzacienne pour entrer dans une version bien plus intéressante de notre histoire.

Car qu’a fait Carlos Ghosn de Renault ces dix dernières années ? Un géant mondial ! Une machine de guerre qui a su résister à la plus parfaite des tempêtes qu’ait dû affronter l’automobile. Si Renault-Nissan est aujourd’hui parmi les géants, avec Volkswagen, Toyota,  et General Motors, c’est bien à l’amplification de l’Alliance qu’elle le doit (l’autre grand patron de l’automobile européenne, Sergio Marchionne, essaie de construire à marche forcée une alliance Fiat-Chrysler qui subit des tourments comparables).

Que vient faire l’état français dans cette nouvelle histoire mondiale ? Dans ce réseaux de participations croisées (il faudrait y ajouter le russe Avtovaz et même les liens de plus en plus étroits avec Daimler), qui n’a d’équivalent dans aucun autre secteur industriel.

Tout à coup, ces droits de vote double sont apparus comme la réaction épidermique et anachronique d’un Etat qui se bat pour maintenir en vie la fiction d’un groupe national. En outre, ces droits de vote double envoient le signe d’une forme de défiance, celle  des « Renault canal historique » contre un Carlos Ghosn qu’ils n’ont jamais accepté, dont ils n’ont en fait jamais compris la stratégie. 

« Ou bien » répondra Bercy, « ces droits de vote double sont la garantie d’une stratégie insensible aux pressions quand la mondialisation fait perdre tout repères à des dirigeants surpuissants », Emmanuel Macron n'a jamais remis en cause la stratégie de Carlos Ghosn, il lui rend même régulièrement hommage, c'est bien son rôle d'actionnaire qu'il veut défendre.

C’est saisissant comme l’exemple de Volkswagen renvoie dos à dos les deux points de vue. Oui, on a pu construire un groupe mondial avec un actionnaire public, mais non, ça n’a pas empêché des dirigeants surpuissants de se croire au dessus de tous les risques.

Mais, après tout, pourquoi l’Etat se verrait-il traité comme un actionnaire au rabais, indispensable en cas de crise, insupportable en cas de succès ? Pourquoi ne pourrait-il pas toucher les dividendes des risques qu’il a su prendre il y a 15 ans? Ces dividendes sont politiques ? Et bien oui ! Et on le revendique. Et on revendique un ancrage national quand les groupes mondiaux se rêvent totalement hors sol.

Ils ne le sont pas. Aussi haut que l’on soit placé on n’est jamais assis que sur son cul. Aussi haut que monte un groupe industriel, il est le fruit d’une histoire qu’il serait dangereux de vouloir rayer d’un trait de plume. Ou d’une résolution de conseil d’administration.

D’ailleurs, si l’on en croit Bercy, le gouvernement japonais n’a émis aucune objection au coup de force de l’Etat français. Valls et Macron étaient à Tokyo il y a 15 jours, il était très simple de le faire, discrètement.

L'ordre des arguments pourrait faire croire que j'épouse ce point de vue. En fait je n'en sais rien. Emmanuel Macron est à contre-emploi et Carlos Ghosn est obligé de tomber le masque. 

C'est bien toute l’histoire : l'avidité et l'ambition y croisent la place des Etats dans la croissance industrielle de ce début de siècle, l’alliance mondiale dansant au-dessus des frontières, et les stratégies personnelles de deux hommes exceptionnels.

Avouez que ça vaut le coup d’attendre la suite, non ?

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