« La guerre est une matière trop sérieuse pour être laissée aux militaires », il en est de même de la réflexion économique. Et je découvre depuis 48h qu’il en est des télécoms comme de la finance, on vous demande de vous taire si vous n’avez pas suivi 10 ans de séminaires de l’IDATE. Foutaises. Cette affaire est simple. Elle appartient à tous les citoyens. Et si vous acceptez de tirer le fil que vous tend Iliad, vous trouverez une partie du destin de l’Europe. Pas moins
Ne vous laissez pas faire ! Aucune raison d’employer le moindre terme technique. Aucune ! FreeAdGate n’est rien d’autre que la première page du premier chapître d’un cours d’éco en 1ere ES : « le but d’une entreprise est de réaliser du profit. L’entrepreneur cherchera toujours à maximiser son profit en jouant sur les facteurs de production ».
Oui, c’est une histoire de gros sous ! Oh My God ! Oui, ce sont des entreprises qui veulent maximiser leur profit, parce que c’est la seule condition de leur développement et de leur avenir.
Oui, c’est une surprise ! BOUM ! L’art de la guerre : « un ennemi surpris est à demi vaincu », pas besoin d’avoir fait Telecom Paris Tech pour comprendre ça, non?
Oui, c’est sans doute une erreur. Free aurait peut-être dû dire dès le départ qu’il ne s’agissait que d’un coup de semonce, parce qu’ils savaient dès le départ que cette affaire ne durerait que 48h. Et effectivement, tout devrait rentrer dans l'ordre dans les prochaines heures.
Alors pourquoi pas prendre le temps de réfléchir et de se dire que nous sommes au cœur d’un enjeu stratégique.
Vous pouvez aller lire la chronique quasi quotidienne de l’effondrement des équipementiers. (je vous en ai mis une page, là ) . Alcaltel dernière victime d’une longue liste. Cisco ne tient le choc qu’à coups d’acquisitions. Personne ne connait le bilan réel de Huawei (le chinois qui sera peut-être le dernier à résister). Première conséquence réelle, concrète, de l’effondrement des prix dans le secteur.
Ne doutons pas que le deuxième acte ce seront les opérateurs de réseau. A commencer par les « historiques » de la vieille Europe. Orange pour être clair et pour ne regarder que la France. En fonction de leur structure de coûts et du poids de l’héritage historique certains sont plus solide que d’autres, mais globalement leur rentabilité s’effondre. C’est une mort lente qui prendra des années, mais c’est une mort certaine.
Dès 2008 Didier Lombard, alors patron de France Telecom expliquait très clairement les conséquences de « l’exadéluge », le déluge de données qui allait obliger les opérateurs à investir encore et encore jusqu’à mourir asphyxiés s’ils ne sortaient pas « par le haut » de cette impasse (et un petit lien Amazon, par pure provocation)
« Par le haut », rejoindre ceux que l’on appelle les OTT, ceux qui ont aspiré la valeur justement, Over The Top, pour faire vite Google, Amazon, Facebook, Apple (« il n’y a que des voitures américaines sur nos autoroutes » disait aussi Lombard). Et ce fut la course au contrôle des contenus, des idées formidables d’un moteur de recherche d’images qui allait détrôner Google etc… Cette stratégie fut une catastrophe.
Il faut bien en comprendre l’impact humain. Les hommes et les femmes qui font les réseaux n’ont pas supporté ce changement brutal, rapide. Et pour se remettre dans cette course là, il n’y avait pas d’autre choix que d’être brutal et rapide. Et puis disons-le, les réalisations elles-mêmes n’ont pas été à la hauteur des enjeux.
Et si l'on sortait par le bas?
Y a-t-il moyen de faire mieux ? De sortir quand même « par le haut », pour aller récupérer un peu de valeur ? Possible, certains le pensent encore (Orange récemment avec le contrôle de Dailymotion ou Deezer). Mais on peut aussi « sortir par le bas »
Là encore, des souvenirs, ceux d’un cadre dirigeant d’Orange, il y quelques années, en Californie, avec les OTT, justement. « You, Telcos, you will get out of the way » , voilà ce qu’il entend, « but WE ARE THE WAY » a-t-il répondu, éclat de rire général ! Il est peut-être temps de l’entendre maintenant.
Ne vous laissez pas faire. C’est clair comme de l’eau. Internet c’est D’ABORD un réseau. Pas d’abord Google. A tel point que « le géant du web » commence à fabriquer ses propres réseaux (quelques éléments, là) . Vouloir nous faire croire le contraire, c’est l’arnaque la plus invraisemblable de ces dernières années. J’entends la colère de ceux qui vivent de la pub internet. Je l’ai dit plus haut, elle est légitime, et Free a commis une erreur de communication, mais ne vous trompez pas de cible, si les OTT ne paient pas plus pour faire face à l’exadéluge, c’est vous qui le ferez d’une manière ou d’une autre.
Soit par le prix de la facture, basique. Les volumes et les prix de la pub ne sont pas extensibles, vous le savez parfaitement. Soit en disparaissant, purement et simplement, parce que vous ne serez plus dans la boucle de rentabilité.
Sortir par le bas c’est redonner de la valeur au réseau. Aucune raison que cette facture là ne soit pas équitablement répartie. Elle ne l’est pas aujourd’hui. Si vous voulez de la technique, tout est là, (ici), remarquablement décrypté par le journaliste qui écrit l’article (un expert qui démontre qu’on a pas besoin de se noyer dans la technique), à travers ce mail de Rani Assaf, l’un des plus discrets des créateurs d’Iliad . Pourquoi considérer qu’il est scandaleux de démarrer un bras de fer dont nous dépendons tous ? DONT NOUS DEPENDONS TOUS!
Orange doit aller regarder l'histoire de l'Aramco
Il se trouve que vendredi soir je rencontrais quelques cadres dirigeants d’Orange, bluffés par le coup de force de Free, certains dénonçant une « provocation », bref, ils me racontaient quelques éléments des négociations en cours pour Youtube, parce que c’est la clé de l’affaire, le trafic ne cesse de croitre, on anticipe de nouveaux problèmes de capacité au printemps prochain, on me dit que c’est le lot commun du secteur, dont acte. Mais il faut savoir que pour alléger la charge des opérateurs, Google propose aujourd’hui des solutions qui lui permettrait de rentrer au cœur des réseaux d’Orange. L’enjeu stratégique est bel et bien posé
Dernière citation, « la data pétrole du XXIème siècle »
(qui a dit ça le 1er, d’ailleurs?). C’est bien dans le contrôle de la donnée numérique que réside une grande partie de la puissance économique future. Sans réaction, le scénario est écrit, celui d’une perte d’influence radicale. On peut alors vouloir une histoire de reconquête qui passerait par une concentration des investissements dans les réseaux et une telle qualité qu’elle séduirait par sa force. Mais pas d’illusion, il faudra aussi des pressions politiques, concurrentielles, pour reprendre le contrôle de la ressource. Toute cette histoire de neutralité du net va prendre des coups, et des rudes. Ma conviction, c’est qu’il faut prendre cette image de pétrole du XXIème siècle au pied de la lettre, que les opérateurs de réseaux doivent lire leur avenir dans les rapports annuels de Total et leur scénario de reconquête dans l’histoire d’Aramco (comment l'Arabie Saoudite a repris le contrôle du pétrole)
Je ne dis pas que c’est ce que Xavier Niel a en tête, oh non ! Relisez la première ligne. Profit. Pérennité de l’entreprise.
Je vous demande juste, une fois que l’orage sera calmé, de prendre la mesure des enjeux possibles, et de vous demander, au regard de votre expérience et de votre histoire, si vous seriez rassurés par la Pax Google.