Allons bon! On change de dimension. Voilà que l'on vient de criminaliser "l'obsolescence programmée". On est au bout de la vacuité de l'action publique: une loi contre un mythe
Jean Pierre Lac, directeur financier, SEB: "ce serait très dangereux de faire ça! Lorsque l'on dépense des centaines de millions à défendre des marques pour qu'elles portent des vertus de qualité, programmer des appareils pour qu'ils disfonctionnent au bout de trois ans, ce serait suicidaire. Grace à nos innovations, on espère que l'appareil que vous achetez aujourd'hui rendra tous les services que vous attendez de lui, mais que celui que l'on sortira dans trois ou quatre ans sera tellement innovant, que vous aurez simplement envie d'en changer. Notre moteur c'est l'offre, pas la panne"
Pourquoi cette simple phrase ne peut-elle pas convaincre ? Depuis que j’ai voulu regarder de près cette histoire, j’avoue que je suis surpris par la force du mythe de l’obsolescence programmée. En fait, on ne cherche même plus à discuter du sujet. Pour beaucoup d’entre vous c’est une simple et claire évidence. D'ailleurs il y a une page Wikipedia sur l'Obsolescence programmée, qui traite du sujet comme d'autres pages traitent du système solaire. L'Obsolescence programmée est une évidence au même titre que la terre est ronde. Dont acte. Et pourtant, des images de la terre, on en a. En revanche, des preuves, des vraies, de l'Obsolescence programmée, on en cherche.
Quand je parle de preuves, je parle d'un document, le compte rendu d'une réunion, quelque chose de tangible. On en a sur le tabac, sur la vache folle, sur le sang contaminé, sur le cartel des pare-brise, sur tous les délits économiques modernes. Au moins un. Mais là rien. Avouez que c'est troublant.
Et bien ça ne trouble pas grand monde, c'est que ce mythe porte, en fait, discrètement, bien d'autres valeurs que la défense des consommateurs. Je vais essayer de m'en expliquer.
En commençant par parler de ce qui est devenu la bible de l'obsolescence, un documentaire d’Arte, « prêt à jeter » qui sert de référence ultime à toute discussion.
-Le documentaire veut donner des exemples précis d'obsolescence programmée, c'est à dire d'une volonté des industriels de fabriquer des objets à durée de vie limitée. Entendons nous bien, pour les défenseurs de cette thèse, la durée de vie limitée n'est pas la conséquence de la recherche de prix plus bas (on y reviendra), non, elle est bel et bien une stratégie.
Le documentaire s'appuie sur deux "preuves", présentées comme des exemples irréfutables. Le problème c'est que ni l'une ni l'autre ne résistent à l'analyse, et à, disons, une journée de travail.
D'abord le « cartel des ampoules », Phoebus, présenté comme une association d'industriels qui se sont mis d'accord pour fabriquer des ampoules très peu résistantes, alors que des solutions de filaments beaucoup plus efficaces existaient à l'époque. Or, on ne trouve nulle part le moindre document qui vienne accréditer cette thèse. Là aussi il y a une page Wikipedia consacrée au sujet, L'encyclopédie (qui n'en est pas à une contradiction près) résume d'ailleurs les choses avec beaucoup de clarté, avec un lien vers le jugement du tribunal qui a condamné ce cartel. Cartel classique, des industriels en situation de quasi monopole essaient de préserver leurs marges, les autorités de régulation font leur boulot, la justice passe, fermez le ban. (page wikipedia sur "Phoebus") Dans le même ordre d'idées, vous pourrez trouver facilement sur Internet le lien vers une ampoule qui brille sans discontinuer depuis un siècle. Un coup de fil vers quelques spécialistes vous apprendra que ce qui fragilise une ampoule c'est justement de l'éteindre et de l'allumer, "on pourrait faire le test aujourd'hui" me dit l'un d'eux, "ça marcherait sans doute, mais faut se dépécher, parce que des filaments, y en a plus beaucoup". Et oui, l'industrie est passée aux ampoules à gaz, basse consomation, durée de vie allongée, ou encore aux LED... avec des prix qui s'envolent. On y reviendra, mais les lecteurs de bonne foi comprendront qu'il y a là une piste à creuser: oui, les ampoules sont un excellent terrain de réflexion, sur la formation des prix, le poids des normes, le rôle des lobbies, mais pas sur l'obsolescence programmée.
Deuxième "preuve" d'Arte: l’imprimante Epson. Epson aurait placé une puce dans ses imprimantes, elle déclenche une panne automatique après 18.000 copies. Là, il vous suffit (ou suffisait à l'époque où j'ai fait cette courte enquête) d’un peu de persévérance pour joindre les services d’Epson en France qui vous expliquent qu’en fait de panne, c’est un message d’alerte pour changer le tampon encreur et maintenir la qualité de l’impression. (http://blogs.lexpress.fr/generation-verte/2011/05/06/imprimantes-epson-et-la-puce-qui-fache/
Je vais m’arrêter là sur les "preuves", car, en fait, des exemples comparables on pourrait en trouver par centaines et vouloir les combattre un par un est tout simplement impossible. Dans une récente émission de télévision, on soumettait à l’économiste Alexandre Delaigue (qui conteste ce phénomène, avec cet article http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2011/03/07/1773-le-mythe-de-l-obsolescence-programmee) l’exemple de téléviseurs Samsung objectivement mal conçus (des condensateurs de mauvaise qualité placés trop près des résistances. La rapide dégradation due à la chaleur est évidente). Dont acte disait-il. Obsolescence programmée... ou simple défaut de conception ?
Les ingénieurs n'auraient pas le droit de se planter? On a vu une navette de la Nasa en grand danger parce que d'anodins éléments de mousse sur les boosters d'appoint avaient endommagé son tablier. Obsolescence? Vous êtes sérieux? Boeing a dû clouer au sol le programme aéronautique le plus ambitieux du XXIème siècle parce qu'on avait mal isolé une batterie qui chauffait directement sur des cables (tiens, exactement comme le Samsung d'ailleurs). Obsolescence? Vous êtes sérieux? Une réparation a 100$ a réglé le problème. Alors j'avoue, on le fait pour un avion à 100 millions pièce, pas pour un ordi portable.
Ce qui nous amène droit au coeur du sujet, droit vers ce que refusent d'évoquer les tenants de l'Obsolescence: la grande bataille industrielle du prix.
Ce que l’on s’échine à appeler l’obsolescence programmée, n’est rien d’autre que la démocratisation des biens industriels de grande consommation, la libération de l’homme par la machine. L’obsolescence programmée c’est fondamentalement la baisse des prix. Alors, oui, on met des cuves en plastique et non plus des cuves en fonte, oui les boutons de contact sont moins résistants etc… mais la machine qui valait 2000h de smic en 1955 en vaut plus de 100 fois moins aujourd’hui. http://www.lamachinealaver.com/index.php?page=article001
Ça s’appelle un choix de société, et le développement de l’offre.
Précisons un point: rien n'indique que la "machine à laver de ma grand mère" durait plus longtemps que, par exemple, le lave linge à 800€/1000€ aujourd'hui d'une belle marque allemande. Les industriels de l'électro-ménager tentent même régulièrement de démontrer le contraire. Démonstration difficile quand on se bat contre un mythe, et que le lave-linge de ma grand mère bénéficie de ce que l'on appelle un "biais de survie", la capacité d'un appareil, un seul sur 10.000 produits, de résister des dizaines d'années, parce que ses conditions de fabrication, d'usage, de transport, de stockage ont été exceptionnellement favorables. On ne regarde que celui là, et pas les 9999 autres dont les performances n'ont rien à voir.
D’accord, ce choix n’est pas toujours arbitré en toute connaissance de cause par l’ensemble des consommateurs du monde, parce qu’on a justement oublié la notion du prix, et qu’il est impossible à reconstituer (et qu’on a, accessoirement, autre chose à faire). D’accord, mais quand même, vous croyez qu’entre la Miele à 2.000€ et la Candy qui en vaut 250€ le consommateur moyen ne sait pas ce qu’il achète ? Vous croyez qu’il se fait « piéger » ? Il sait très bien qu‘il est à la marge, il sait très bien que pour faire baisser le prix l’industriel a tiré sur l’ensemble des coûts de production, simplement cette machine elle sera bien pratique, alors on va faire attention, elle tiendra ce qu’elle tiendra. C'est quoi l'alternative? L'alternative c'est que les pauvres continuent à aller au lavoir. je le dis avec un peu de brutalité et de provocation, mais pas tant que ça. Il faut bien y réfléchir.
(ms : dans les premières réactions, on me parle des pièces de rechange. Autre sujet, mais là, réel sujet, qui se rapproche plus de la désindustrialisation. Pour la faire courte, la baisse de prix généralisée du secteur il a 20 ans (le made in China généralisé) a amené, c'est vrai, les industriels à désinvestir totalement la filière, plus de rentabilité. le retour des consommateurs sur des prix plus élevés change la donne, et SEB, par exemple, fait bien de la reconstitution d'une filière de réparation, l'une de ses priorités du moment. Mais on ne reconstruit pas Rome en un jour, et surtout on réveille pas facilement les vieux réflexes de consommateurs qui jettent facilement des cafetières qui ne valent plus grand chose)
(ms2: deux ans après cet article, février 2015, je reçois le patron de Save my smartphone. Et voilà, elle est là cette fillière de réparation. Il connait une croissance vertigineuse, monte des petits corners dans les centre commerciaux et réalise sur place en quelques heures plus de 80 réparations simples sur tous les modèles de téléphone. Quelle belle démonstration de ce que l'obsolescence programmée n'existe que dans la tête de ses promoteurs)
(ms3 : trois ans après, la voilà la filière SEB, mise en place par Nespresso qui propose à grands renforts de publicité un service de réparation des cafetières. Les premiers commentaires disent « ah vous voyez bien que ça existe l’obsolescence programmée, puisqu’ils veulent y mettre un terme ». Les bras m’en tombent)
Et d'ailleurs, on va faire le boulot jusqu'au bout: il faut assumer le fait que le concept est né dans les années 30. Oui, avant guerre ! Donc ce n'est pas de la machine de ma grand-mère dont il faudrait parler, mais de la Ford T. Il n'y aurait eu, depuis, que des innovations marketing propres à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Je vous le dis franchement, je ne comprends pas comment on peut légitimement soutenir un tel raisonnement.
L’automobile est sans doute le meilleur exemple des progrès industriels foudroyants de ces 50 dernières années, de baisses de prix considérables, elle reste le temple de l’industrialisation, et pourtant, pourtant pour une simple erreur de tapis de sol qui coinçait la pédale d’accélérateur, Toyota, l’empire, a dû rappeler 8 millions de véhicules ! Une année de production ! Obsolescence ? Non, erreur d’ingénieur. Je roule en C1 Citroën depuis 3 ans. Une seule visite au garage pour une révision, inutile d'ailleurs. J'aurais dû y retourner depuis mais je n'ai pas le temps. Alors de quoi on parle? La voiture la moins cher du marché ne pose plus aucun problème technique malgré une utilisation urbaine intensive. Donc il y aurait parfois de l'Obsolescence, et parfois non? Tout cela est-il bien sérieux?
Dernier point très important: le poids des normes. Alors là, oui, des documents on en a des caisses. Des documents prouvant combien les agents économiques puissants multiplient les manoeuvres pour forcer les autorités de régulation ou les responsables politiques à adopter des normes qui protègent leurs parts de marché. On retrouve les ampoules. Passionnant. Parce qu'on a vu une alliance objective entre les écologistes et les industriels qui voulaient remonter leurs marges et leurs prix. Oui, passionnant, parce que ce sont ces mêmes écologistes qui ont obtenu le vote de la criminalisation de l'obsolescence programmée, et qui ont organisé ce qu'il faut bien appeler l'obsolescence de l'ampoule à filament.
Bon, on pourrait écrire à l'infini, il est temps de se dire les choses: l’obsolescence programmée ne s'intéresse pas à la réalité de l'industrie et ses promoteurs n'ont jamais de leur vie discuté avec un industriel. En vérité, et c'est bien pour cela que ce mythe survit à toutes les démonstrations, le mythe de l'obsolescence programmée est une des variantes du combat contre l'économie de marché. Voilà.
L’obsolescence, c’est le refus d’admettre les moteurs profonds des entreprises, de la course au profit, au client, à l’innovation. Imaginer que l’obsolescence programmée puisse avoir sa place dans le plan stratégique d’un industriel, c’est imaginer une sorte de cartel géant, les hommes aux gros cigares autour d’une table se mettant d’accord sur le nombre de cycle d’un lave-linge. Les cartels existent, ils sont combattus par les autorités de régulation, des industriels sont régulièrement condamnés. D’ailleurs les délits économiques sont nombreux, atteinte à la concurrence, abus de position dominante, publicité mensongère, escroquerie etc… jamais personne n’a légiféré sur l’obsolescence programmée. Ne serait-ce pas le signe qu’elle n’existe que dans les théories anti-capitalistes ?
J'insiste, je veux que vous visualisiez la scène. Un salon discret dans un aéroport. Tous les fabriquants de lave linge ont envoyé un représentant.
-"alors on dit quoi? 12.000 cycles? " propose l'Allemand
-"vous y allez fort" répond le Chinois, 6.000 et essorage limité à 1000 tours
...et ainsi de suite, pour tous les produits de grande consommation, depuis des dizaines d'années, et pas un document ne serait sorti? Vous êtes sérieux? Il faudrait croire que ça ne relève pas du fantasme pur et simple?
Tenez, un dernier mot; la page Wikipédia consacrée à l’obsolescence programmée, nous parle de l’obsolescence du design. C’est bien là que l’on touche à l’essentiel. Parce que le design c’est d’abord un formidable moteur de croissance. Le design, c’est le mot économique de la beauté. Picasso c’est l’obsolescence programmée de la peinture flamande. Le design, c’est l’expression du génie humain. Et ce progrès là, alors oui, nous l’arbitrons en toute connaissance de cause. Apple dans sa récente histoire a connu un léger trou d'air: on ne s’est pas rué sur l’I-phone 5, on a préféré racheter un 4, voire un 3 dont les prix avaient baissé. C'est la Chine qui pemettra le décollage et finalement le décollage de l'appareil et son succès finalement phénoménal. Mais à un moment, dans l’arbitrage permanent coût/bénéfices, nous avions collectivement décidé que l’équation ne fonctionnait plus. Aussi simple que ça. Ça s’appelle l’économie, 2 ou 3.000 ans que ça dure.
Mais 2 ou 3.000 ans qu'on du mal à l'admettre. Si vous achetez le dernier i-phone, c'est qu'il va vous rendre énormément de services, mais aussi, admettons-le, parce que vous êtes fragile, humain, plein de désirs, que la pub est forte, qu'elle sait jouer sur vos ressorts profonds, que vous allez compenser là une frustration quelconque. Mais certainement pas parce qu'un industriel en a programmé l'obsolescence