Paradoxe d'un débat économique français qui marche sur la tête, on se félicite d'un vote suisse qui confie davantage de responsabilité aux agents économiques les plus irresponsables
L'actionnaire c'est l'incarnation de l'économie libérale. C'est bien lui, par le risque qu'il accepte de prendre en confiant son argent à des entrepreneurs, qui permet le miracle de la destruction créatrice, pousse l'innovation et la création de richesses. Et dans ce cadre là, il paraît parfaitement légitime qu'il soit principal maître à bord
Dans les faits qui nous intéressent là, c'est à dire la rémunération des managers des multinationales votée en assemblée générale,(quelques éléments, ici, puis ici) on en est loin. Tellement loin, que les actionnaires n'ont plus rien de chevaliers libéraux, mais ressemblent bien plus à des rentiers peureux et conservateurs.
Mettre son argent chez Nestlé ou Novartis, ce n'est pas le choix du risque, mais bien celui de la rente et l'actionnaire n'est plus un agent indispensable, mais bien un parasite, au sens propre : son développement fragilise l’organisme sur lequel il se développe. Disons-le, mieux vaut laisser dormir l'actionnaire d'une multinationale, d'ailleurs c'est ce qu'il fait le plus souvent en assemblée générale après avoir rendu hommage au buffet
L'actionnaire d'une multinationale est bien un parasite
Mais de qui parle-t-on? Soyons clairs: de banques, de compagnies d'assurance, de fonds de pensions, de caisses de retraites et parfois de l’Etat (mais laissons celui-là de côté, c’est le pire de tous, on y reviendra plus tard). Une assemblée générale c'est bien plus le sénat romain que la démocratie athénienne. Une ploutocratie qui peut, de temps en temps, couper la tête de César, et se contrefout des intérêts de la plèbe, en l'occurrence les petits actionnaires minoritaires.
Cet actionnaire n'a qu'un seul but: le rendement. Une alchimie étrange entre le cours de bourse et le dividende. Ce rendement est l'alpha et l'oméga de sa réflexion, rien d'autre ne l'intéresse, certainement pas la pérennité de l'entreprise, encore moins les emplois qu'elle pourrait créer/protéger, vaguement la responsabilité sociale (une mauvaise image pourrait dégrader le rendement), certainement pas sa capacité d'innovation et les graines qu'elle pourrait planter pour construire l'avenir. Je prends l'image en référence à une histoire que me racontaient des responsables de communication financière. Au XIX ème, quand un enfant naissait dans les familles possédant un peu de terre, on plantait une graine de peuplier, cet arbre serait le capital de l'enfant devenu grand au moment de son mariage. Plus personne ne réfléchit comme ça, les graines de peuplier sont des herbes folles, on veut les voir croitre et grandir le temps d'un printemps. Sinon? Sulfateuse. Si ça marche? Engrais! Parce que l'actionnaire des multinationale est comme nous, il n'en a jamais assez, et c'est bien lui, par exemple, qui a poussé les dirigeants des grandes banques américaines à chercher davantage de rendement au tournant des années 2000
Le « say on pay » (donner plus de pouvoir aux actionnaires en assemblée générale) est donc un réel danger car pour les actionnaires des multinationales suisses, le seul critère sera de savoir si le rendement a été satisfaisant ou pas. Vous croyez domestiquer l'économie de marché? Vous satifaites en fait son pire penchant. Que l’entreprise, pour garantir ce rendement, ait planté des germes de destruction, restera le cadet de leurs soucis
Le retour de la financiarisation
Un mot de l’Etat. Le patron d’une grande entreprise française sous pression de l’Etat actionnaire me disait vendredi : « l’Etat est l’empire des injonctions contradictoires » . La formule est superbe. Elle montre que, là aussi, lui donner plus de pouvoir est la meilleur façon de fragiliser les entreprises.
Bref, encore une fois, les bons sentiments n'ont aucun sens réel et concret. Le vote suisse n'est pas un instrument de contrôle, bien plus un instrument de dérives